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Ethiopie
Ethiopie

Ethiopie 1929-1936

Les avions du Négus

Junkers W33c

                

          La première vie du Junkers W.33c n° 2359


            L'embargo appliqué par la France bloque par les formalités de douane du Junkers W33c n°2359 débarqué vers avril paquebot de la Norddeutscher LLoyd. La déclaration de douane évoque 2 Junkers W.33c équipés chacun pour 6 passagers et un équipage de 2 personnes dans le poste à double commande, un seul exemplaire est avéré comme étant effectivement livré.


            L'embargo est levé début août, mais les autorités françaises refusent un décollage de Djibouti - probablement pour favoriser Maillet et son Potez 25 - imposant à l'équipe allemande de rejoindre Dire Dawa pour le montage et la préparation de l'avion.   

            Ce n'est que le 5 septembre que le Junkers rejoint Addis Abeba et se pose sur l'hippodrome de Jan Meda, désormais retenu comme terrain d'aviation de la capitale. Le Junkers est baptisé "Rigbe Tafari" (Colombe Tafari), dénomination marquant indirectement son rôle attendu, moins guerrier que celui des Potez.

Le Junkers W.33c n°2539 dans la livrée qu'il porte à son arrivée à Addis Abeba.

Michel Barriere]

Le Junkers W33 près de la tribune officielle, le 5 septembre 1929. L'appareil porte sa livrée d'usine agrémentée de drapeaux éthiopiens. Le nom de baptême "Rigbe Tafari" et le lion de Juda sont par contre absents. [Coll Michel Barrière]

5 septembre1929: le Junkers W33 piloté par le Baron Engel se présente au-dessus de Jan Meda. [Comité France Orient]

            Dans les semaines qui suivent, le Junkers est parqué, ainsi que les Potez, sur l'hippodrome de Jan Meda, partiellement reconverti en terrain d'aviation. Les appareils sont d'abord abrités sous des tentes en toile fabriquées hâtivement avec des bâches, puis sous des hangars constitués d'une structure en eucalyptus recouverte de tôle ondulée.


            En septembre, il participe comme les Potez aux missions de reconnaissance dans le nord du pays à partir de Dessye.


            Le 19 décembre, le Junkers piloté par Engel décolle pour Addis Abeba. Outre son mécanicien Schmidt, Engel transporte à cette occasion le Dedjazmatch Wolde Selassie, oncle du Négus et gouverneur de l'Ogaden. Une panne moteur alors que le Junkers n'est qu'à 7 mètres d'altitude provoque la chute de l'avion. L'avion est très endommagé. Le pilote est indemne, le mécanicien légèrement blessé, mais gravement blessé à la tête, le Dedjazmatch est transporté à l'hôpital de Dessye où il décède pendant la nuit.

            Les deux pilotes allemands sont immédiatement renvoyés par le Négus ; Schmidt, une fois remis, rejoint l'équipe de Maillet. L'épave du Junkers, ramenée à Addis Abeba, est stockée dans un hangar de Jan Meda, où l'écrivain Armandy la verra lors de sa visite du terrain en janvier 1930. Elle restera sur place jusqu'en 1932..


            La résurrection du Junkers W.33c n° 2359


            Conséquence indirecte de la destruction accidentelle, en févier 1932, du F.192 personnel de l'Empereur, Steffen obtient la renaissance du Junkers.

            A l'été 1932 arrive une misssion allemande dirigée par l'ingénieur pilote Ludwig Weber. Elle est chargée de reconstruire le Junkers W.33, travail important qui se poursuit en 1933 dans le hangar de Jan Meda. Thierry Maignal s'inquiètera de cette concurrence active dans une note adressée le 20 septembre 1932 à l'ambassadeur Verchère de Reffye.

            Les travaux de remise en état de l'appareil sont importants. Pour éviter la reproduction de l'accident de 1929, le W.33c est allégé par réduction de la capacité de ses réservoirs. Le 2 avril 1933, l'appareil reprend du service et effectue son premier vol au-dessus d'Addis-Abeba.

            Dans une démarche personnelle, Weber propose alors de doter l'Ethiopie d'une industrie nationale et de construire une escadrille d'une trentaine d'appareils. Pour commencer, il propose de construire un appareil d'entrainement d'un entretien aisé, adapté aux caractéristiques de l'environnement éthiopien. L'idée séduit le Négus qui l'embauche comme pilote personnel et lui confie un poste de "directeur de l'entrepôt aéronautique".

Le fuselage du Junkers en cours de réparation dans le hangar de Jan Meda en  1932 ou 1933.

Le Junkers W33 devant le hangar d'Akaki construit en 1934. Livrée minimale sans drapeaux éthiopiens sur ailes et fuselage.

Le Junkers W33 était géré à part, directement par Weber. Peu de photos le montrent en compagnie d'autres appareils, ici un Potez Hispano et un Potez Lorraine [Coll. Michel Barrière]

Après sa réparation, le Junkers W33 portera jusqu'en 1935 une livrée minimale. [© Michel Barriere]

            En avril 1935, aucun des appareils de transport éthiopiens ne porte de nom de baptême : ces dénominations n'apparaissent apparemment qu'après l'arrivée en juin des deux Fokker VIIa "Abba Dagnew" et "Abba Kagnew";

            Nous ignorons dans quelles circonstances exactement ces baptêmes ont eu lieu. Compte tenu des événements survenus dans la période, il semble que les appareils aient pu être baptisés à la mi-juillet. Le 17, l'Empereur prononçe son grand discours au Parlement éthiopien sur l'effort de défense nationale. Plusieurs cérémonies, dont un grand défilé de l'armée régulière, ont lieu les jours suivants et le contexte apparaît propice au baptême symbolique des appareils.

            Le Junkers est alors baptisé "Dessye", capitale du Wollo dont le prince héritier Asfawossen est gouverneur..

Le Junkers W.33 rebaptisé "Dessye", portant sa décoration complète à l'été 1935. [© Michel Barriere]

            Le Junkers est accidenté peu après et est encore en réparation au début du mois de septembre. Dans les semaines qui suivent sa réparation, il aurait participé avec les Potez aux transports d'armes et de munitions vers le nord. Contrairement à ce que peut laisser penser une photo connue, il semble bien qu'il n'ait jamais été piloté opérationnellement par John Robinson.


            Fin novembre, Drouillet quitte l'Ethiopie, Webel le transportant à Dire Dawa avec le Junkers. De là, il rejoint Djibouti où il s'embarque pour la France.

Le Junkers portant son nom de baptême "Dessye" et le Lion de Juda, tel qu'il apparait à la fin de 1935

Drouillet embarquant sur le Junkers, peut-être pour son départ vers Djibouti. La photo a été retouchée pour faire disparaitre le nom "Junkers" [Ouest Eclair]

            

            L'armée du Dedjazmatch Wodaju, blessé en février 1936 à la bataille de Shelikot, avait fui vers le sud et, dépassant Quoram et le quartier général de l'Empereur, se rassemblent à la mi-mars à Dessye, capitale du Wollo dont le Prince Héritier Asfawossen est gouverneur. Ces troupes d'origine locale campent dans les collines entourant la ville. Le gouverneur de la province, le Ras Gabre Hiwot Mikael de 67 ans, semble avoir alors fomenté une conspiration pour déposer le prince héritier, s'alliant avec le Dedjaz Amde Ali de Lagagora et le Dedjaz Auraris, gouverneur de Menz, tous nobles de la vieille génération favorables à l'empereur déchu Lidj Yassou et au Ras Hailu.

            De Quoram, l'Empereur demande alors à son fils l'arrestation des leaders. Pour ce faire, le Balambaras Mehata Selassie aurait utilisé un stratagème, envoyant aux soldats rebelles une déclaration écrite leur assurant le pardon et les autorisant à retourner chez eux et invitant les leaders à festoyer au ghebi. Fatigués de la guerre, les soldats acceptent l'offre. Les trois principaux leaders, soûlés pendant le festin, sont arrêtés, enchainés, embarqués dans un camion et conduits à l'aéroport de Dessye, situé à une trentaines de kilomètres sur la rive de la rivière Borkenna, où Weber stationne avec son Junkers pour ramener les prisonniers dans la capitale. 

            Une fois ses trois passagers enchainés embarqués dans l'appareil, le pilote se trouve encerclé par une foule agitée, le support des troupes régulières étant insuffisant pour maitriser la situation. Dans ces conditions, la mise en route est difficile, l'hélice fauche un imprudent et Weber décolle en catastrophe, sans attendre l'installation d'un garde armé à son bord; c'est son mécanicien qui assurera la surveillance des passagers pendant le vol.


            Le soir du 1° mai 1936, l'Empereur, sa famille et son trésor quittent discrètement en train Addis-Abeba pour Djibouti. La capitale sombre dans l'anarchie et le pillage. Quelques étrangers sont tués. Les légations sont attaquées. La plupart ont pris des mesures de défense, et certaines d'entre elles, notamment la France et la Grande Bretagne, ont été renforcées avec des détachements de troupes coloniales.


            Réfugiés dans la Légation d'Allemagne, Weber et ses mécaniciens participent le 2 mai à la protection des européens dans la ville. Le 3 mai au matin, Trapman, vice-consul de Grande Bretagne, Taylor, attaché militaire britannique et le journaliste George Steer quittent l'ambassade de Grande Bretagne pour patrouiller avec un Ford pickup. Ils passent à l'ambassade d'Allemagne ; Weber qui les accueille à la grille leur demandant de le conduire avec ses trois mécaniciens au terrain de Jan Meda. Lorsqu'ils y arrivent, le Junkers, parqué à l'extrémité du terrain, sous les arbres est intact. Weber constate seulement la disparition de sa combinaison de vol et de ses cartes. Quelques minutes après, les allemands ont embarqué avec leur caisse de thalers, le moteur tourne et l'appareil roule vers le terrain. A leur grande surprise, des hommes de la Garde Impériale sortant de l'abri des arbres leur ordonnent d'arrêter l'appareil : malgré le départ de l'Empereur, ils assurent toujours la garde du terrain. Se dressant dans son cockpit, Weber, qui porte sa casquette rouge "à la Richtoffen" leur répond sèchement "Ouvrez les portes, je suis le gouvernement". S'inclinant, les soldats obtempèrent, ouvrent les barrières du terrain, lui permettant le décollage. Son envol s'effectue à travers de nombreux tirs provenant des maisons entourant le terrain.


              Sans cartes, prenant le cap au jugé, Weber rejoint directement Roseires au Soudan, mais une panne d'essene l'oblige à se poser en catastrophe quelques kilomètres avant son objectif.

            Il abandonne l'appareil qui sera récupéré par la RAF. N'intéressant pas l'aviation britannique, l'épave sera cédée à un ferrailleur.

Le Junkers W33 au Soudan après sa récupération par la RAF.

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