Crezan
F190
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F190

F.190 n°5 / 7114

F-AIYC



            D'après le registre F, le F.190 n°5 est enregistré à la Compagnie Générale Aéropostale avec les CdN / CdI 2051 et l'immatriculation F-AIYC le 28 mars 1929. En novembre de la même année, il est rayé du registre F sans laisser de trace.


            Ni le motif de l'achat d'un F.190 par l'Aéropostale, ni sa brève carrière ne s'expliquent a priori. Cependant, si on confronte la liste de production Farman très complète dans cette période à la liste et à l'histoire des appareils, un exemplaire de la série n'apparaît pas : le F.191 exporté au Portugal. Nous connaissons ses date de sortie d'usine: février 1929 et de convoyage à Lisbonne : 15 mars 1929.


            Une photographie du F.191 dans un hangar à Lisbonne confirme qu'il s'agit bien du même appareil ; l'immatriculation française apparaît en effet, partiellement masquée par les reflets et les cocardes sous l'aile de l'appareil fraichement repeint.

Le F.191-1 de Brito Paes fraichement repeint à Lisbonne. Une trace de son immatriculation française (YC) apparait sous l'aile gauche.[FAP Arquivo Histórico, via José Vilhena]

            Cet appareil a en fait été acquis, probablement en septembre 1928, par le pilote portugais Brito Paes qui achète à prix coûtant la cellule à Farman et le moteur à Gnome-Rhône. Brito Paes lui-même indique que la dénomination de l'appareil est F.191-1.

            L'enregistrement au nom de l'Aéropostale est probablement une formalité de complaisance pour le vol de convoyage de l'appareil de Brito Paes vers le Portugal, la règlementation interdisant alors l'entrée dans le registre F d'un appareil appartenant à un ressortissant étranger. La même facilité sera d'ailleurs accordée par la CIDNA au F.191 du pilote roumain Romeo Popesco.

F.191-1 /7114

F-AIYC


            A la mi-février 1929, le lieutenant Tártaro qui doit assurer le pilotage de l'avion part pour Toussus-le-Noble ; Brito Paes le rejoint un peu plus tard. Le 22 février, Lucien Coupet effectue un court vol de démonstration sur l'appareil. Cependant, pour Brito Paes, ces premiers essais ne sont pas satisfaisants et l'avion n'est pas au point.

            Pendant un mois, les deux officiers portugais dépensent beaucoup d'énergie pour mettre l'appareil en état de vol et régler le moteur, d'autant plus que les techniciens de Farman et Gnome-Rhône semblent peu motivés par cette mise au point. Finalement, le lieutenant Tártaro est autorisé à piloter l'avion, accompagné d'un ingénieur de Gnome-Rhône. Les deux Portugais souhaiteraient essayer immédiatement l'appareil en charge ; aucun terrain de la région parisienne ne pouvant être utilisé pour de tels essais, ils sont pressés de rentrer au Portugal. Le 8 mars, Lucien Coupet effectue de nouveau un court vol sur le F.191-1.

            La veille de leur départ pour Lisbonne, une dernière vérification les amène à régler de nouveau l'avion. Le F.191-1 reçoit probablement son CdN à cette occasion et, la nationalité de Brito Paes interdisant de le faire à son nom, l'avion est enregistré dans le registre F au nom de l'Aéropostale le 29 mars, avec l'immatriculation F-AIYC : il sera rayé du registre français en novembre 1929.


            Supposé enfin au point, le Farman F.191-1 part pour Lisbonne le 15 mars sous immatriculation française avec son équipage portugais et un mécanicien de Gnome-Rhône, nommé Valpin. Le brouillard les oblige à se poser à Rochefort. L'équipage reprend son vol le lendemain, 17 mars, avec 700 litres d'essence. Vers 17h00, alors qu'ils survolent la région de Caceres et s'approchent de la frontière portugaise, le moteur tombe en panne d'essence. Bien que la configuration de l'avion ne lui permette pas de bien voir le sol en approche, Tártaro réussit un atterrissage quasi miraculeux dans un champ au lieu-dit Vega Galaperosa, à 16 km de Coria. Les aviateurs constatent alors que le tuyau d'alimentation se trouve au milieu du réservoir au lieu d'être fixé au fond. Bien que n'ayant utilisé que 350 litres d'essence, ils vont en voiture à Caceres chercher du carburant, rejoignant le terrain de Lisbonne - Amadora le lendemain.

            

Restitution du F.191-1 dans sa livrée de convoyage basée sur la décoration similaire du F-AIVQ. Dans les articles qui font suite à son atterrissage forcé, la presse de Caceres confirme la présence de l'immatriculation française sur l'appareil. [© Michel Barrière]

Le F.191-1 en service [Coll José Amado Neves, via José Vilhena]

Le F.191-1 [Coll Revista Mais Alto via José Vilhena]


            A Lisbonne, le Diario de Lisboa annonce dès le 16 mars l'arrivée de l'appareil que la société Gnome-Rhône "qui a présenté des propositions pour la construction de moteurs, d'aérodromes et de hangars et pour l'exploitation de lignes aériennes a offert, pour un raid Lisbonne – Mozambique avec une éventuelle escale à Luanda, un monoplan Farman … manifestant son désir de le voir battre un record de distance".

            L'appareil piloté par le lieutenant Tártaro avec, comme observateur, le lieutenant-colonel Brito Paes doit ensuite rejoindre le terrain de Vila Nova de Milfontes, sa piste de 3000 mètres étant la seule à permettre le décollage de l'appareil à pleine charge pour un raid soit vers le Mozambique, soit vers Rio de Janeiro avec escale au Cap Vert.


            Le 20 mars, le Diario de Lisboa publie un entretien avec Brito Paes, désireux de rectifier les indications de l'article concernant les conditions d'acquisition de l'avion et ses possibilités opérationnelles. Sur ce dernier point, il souligne notamment que le vol de convoyage l'a convaincu, ou a achevé de le convaincre, que l'avion est incapable d'un vol transatlantique. Pour être capable d'un vol prolongé, l'appareil devra recevoir d'importantes transformations, pour certaines déjà faites ou qui le seront rapidement.

            Son projet est désormais de réaliser un raid vers l'Afrique, partant au mieux à la mi-avril pour bénéficier de la pleine lune pendant le vol de nuit.


            Le 23 mars, les modifications du moteur Titan se poursuivent sur le terrain d'Amadora. Le 4 avril, les aviateurs décident de partir pour Vila Nova de Milfontes pour y effectuer des essais. Ils partent d'Amadora à 11H30 avec quelques passagers dont Valpin. Le F.191-1 est accompagnés par deux Vickers, dont un piloté par Pais Ramos, pilote attitré du nouveau F.190 de la SPELA. Après son décollage, le F.191-1 prend difficilement de l'altitude et Tártaro se voit obligé de faire demi-tour et de revenir se poser. La cause de la mauvaise alimentation du moteur - présence d'essence dans les tuyaux d'admission d'air - est rapidement identifiée. Après réparation, l'avion repart sans encombre pour Vila Nova de Milfontes.


            Ces difficultés conduisent la presse à insister pour obtenir une nouvelle interview de Brito Paes sur ses intentions de raid. Le 17 avril, il confirme la nécessité de faire d'importantes modifications avant tout départ, en particulier de réaménager le poste de pilotage en modifiant la place du pilote afin de lui donner une meilleure visibilité et en agrandissant la place de l'observateur pour installer une table de travail.


            Brito Paes ne donne cependant aucune information sur ses projets et leur calendrier, peut-être parce qu'il doute déjà fortement de la suite. Il abandonne en effet rapidement tout projet avec le Farman. Il cède son avion sans emploi à l'Armée de l'Air portugaise. Stationné à Tancos, le Farman F.191-1 est utilisé pendant les années qui suivent pour des missions photographiques. Il est finalement démantelé en 1935.


            Impliqué dans le soulèvement révolutionnaire d'août 1931, Brito Paes est arrêté. Réintégré en 1932 comme adjoint à l'inspecteur de l'aéronautique et instructeur à l'école centrale d'officiers, il se tue le 22 février 1934 lors de la collision à Sintra de son MS 233 avec un appareil similaire lors d'un vol d'entrainement.

Le F.191-1 dans sa livrée militaire. Il porte les cocardes à croix potencée sur et sous les ailes.

[© Michel Barrière]

Les Avions Farman

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F.19O n°6 F-AIYD