Crezan
F190
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F190

F.190 n°35 / (7159)


¤ Marcel Goulette


            Né le 7 décembre 1893, Marcel Goulette, après des études professionnelles à Nancy, entre en 1911 à l'École Nationale Supérieure des Arts et Métiers (ENSAM). Il en sort avec son diplôme d'ingénieur en 1914, pour être appelé le jour de la mobilisation et affecté dans le Génie. Blessé plusieurs fois et laissé pour mort, il est réformé par l'Armée de Terre. Pour rester en activité, il se fait affecter à l'aviation et signe un engagement pour la chasse. Encore convalescent, il est affecté comme chef de service adjoint au service général avions de la Section Technique de l'Aéronautique et passe son brevet de pilote. La guerre finie, redevenu civil, il conserve des liens étroits avec l'aéronautique tant militaire, en tant que capitaine de réserve, qu'industrielle. Lié à un autre ancien des Arts et Métiers, René Couzinet, il s'associe à ses projets, puis s'en éloigne pour devenir administrateur délégué de la société des avions Albert.


            En 1929, Goulette effectue une période militaire au 34° régiment d'Aviation, fief des militaires amateurs de raid où serviront entre autres Weiss, Bailly, Reginensi, etc. C'est alors qu'il décide son raid vers Madagascar. Bien que ne disposant que de ressources personnelles limitées, il décide de s'engager dans l'aventure.


            Inconnu à l'époque, manquant de ressources propres, il a besoin de mécènes pour financer son projet. La concurrence fait rage entre les motoristes. Le projet de Bailly et son association avec Gnome-Rhône ne lui permet guère d'attendre un financement de ce côté. Il trouve le motoriste Salmson, que Farman qui soutient la variété des motorisations de son F.190 accompagne.


            Il obtient des subventions du Ministère des Colonies et de Madagascar ainsi que le soutien d'un quotidien (Le Matin), le tout assorti de contrats publicitaires qui dicteront son équipement. Il convainc le Ministère des Postes que son voyage constitue une liaison postale vers l'Afrique Équatoriale Française, l'Afrique Occidentale Française, le Congo Belge, la Rhodésie du Nord, le Mozambique, Madagascar, La Réunion, l'Ile Maurice. Revêtues de la mention "Par avion, liaison France – Madagascar – Réunion-Maurice", les correspondances transportées doivent acquitter une surtaxe aérienne, ce qui permet à Goulette de bénéficier d'un financement officiel complémentaire et lui fournit une publicité significative.


            Par nécesssité, son appareil sera un F.192, à moteur Salmson 9 Ab, le 3° de la série. Farman fournit une cellule, probablement une cellule déjà en production : hypothèse qui expliquerait l'usage d'une cellule existante à l'instar du F.192 n°2. Ce peut être raisonnablement le F.190 n°35, de n/c sans doute 7159 ou 7160.

            Le fait que son immatriculation F-AJJB soit antérieure à celle du F.190 de Bailly (F.190 n°34/7158 F-AJJG) et sa sortie de production apparemment postérieure peuvent illustrer les difficultés de financement de son projet par Marcel Goulette.


            L'appareil, sorti de production à Billancourt en septembre, est transporté à Toussus-le-Noble, monté puis essayé en vol par Coupet le 26 septembre.


            Le F.192 n°3 est enregistré le 10 octobre 1929 au nom de Marcel Goulette avec les CdN/CdI 2291 et l'immatriculation F-AJJB. L'appareil est équipé de réservoirs d'essence d'une contenance totale de 670 litres (2 x 275 l dans les ailes et 120 l en cabine). Un réservoir est aménagé dans le bord d'attaque du plan gauche Comme pour le F.190 n°34, mais il s'agit cette fois du réservoir d'huile, modification qui semble avoir été spécifique des F.192.. L'hélice, une Chauvière en bois blindé lors de la réception, est remplacée par une Levasseur métallique pour le voyage. Magnétos Salmson, démarreur Viet, bougies Gilardoni, amortisseurs et freins Messier, pneus Palladium. L'équipage dispose d'un dérivomètre type S.T.Aé. et d'un compas Krauss-Morel.

  

F.192 n°3 /(7159)

F-AJJB

Le F.192 n°3 F-AJJB du raid Paris- Madagascar de Goulette, Marchesseau et Bourgeois au départ de leur liaison Paris - Madagascar [© Michel Barrière]

            

            Le 11 octobre 1929, le Matin annonce le raid, au départ prévu le 16 octobre. Pour constituer l'équipage de son raid, le capitaine de réserve Marcel Goulette a trouvé deux aviateurs du 34e RA : un pilote expérimenté, l'adjudant-chef René Marchesseau, et le mécanicien, le sergent chef Jean-Michel Bourgeois.


            Décoré d'une bande tricolore et portant les marques de Farman et Salmson , l'avion décolle du Bourget le 17 octobre 1929 à 6h17 avec un sac postal de 2 kg de courrier.

Le F.192 F-AJJB en préparation à Toussus. De gauche à droite : Marchesseau, Goulette et Bourgeois [Les Ailes]


            A 11h10, l'avion fait une courte escale à Perpignan-La Salanque, puis repart à 12h15 en suivant la côte par Barcelone et Alicante. Pour éviter une arrivée nocturne à Oran, où le terrain n'est pas balisé, il se pose à 16h40 à Los Alcazares (1350/1400 km) et y passe la nuit.

Reparti le lendemain à 6h05, le Farman ravitaille à Oran de 7h30 à 9h30, puis se pose brièvement à Colomb-Béchar à 13h20 pour déjeuner. L'équipage souhaite atteindre Reggan dans la soirée, mais Goulette ayant perdu la piste préfère passer la nuit dans le désert (Ksabi, 950 km).


Le 19 au petit matin, après avoir retrouvé la piste, l'équipage atteint Adrar à 8h50 et repart à 12h30 vers Reggan. A la tombée du jour, il se pose le long de la piste Estienne (950 km) pour la nuit. Repartis le 20 à 6h00, ils atteignent Gao à 9h30, repartant rapidement vers Niamey (1150 km).

            Le 21 octobre, ils se contentent de rejoindre Zinder (800 km). C'est ensuite le 22 Fort-Lamy, puis Fort-Archambault (1300 km). Le 23, le Farman fait escale à Bangui, puis termine son étape à Coquilhatville où, après avoir évité les tornades, il se pose sur le terrain de la SABENA (1000 km).

Reparti à 8h00, il suit le Congo jusqu'à Bandundu, puis remonte le cours du Kasaï, passant à Port-Francqui avant de ravitailler à Luebo de 12h35 à 13h00.


            Une tornade les oblige à se poser à 16h30 à 14 km à l'ouest de Kanda-Kanda sur un ancien terrain de secours de la SABENA envahi par les termitières (1050 km).

Ayant passé la nuit à dégager une piste de fortune avec l'aide d'un colon français et de ses ouvriers et à maintenir le Farman secoué par la tempête, Goulette peut redécoller le lendemain, 25 octobre, à 5h35 pour se poser à 10h50 à Élisabethville (750 km); reparti à 12h40 malgré la tornade contre laquelle Marchesseau se bat plus d'une heure, il se pose à Broken Hill à 15h10.

            Le 26, parti à 8h00, il survole Tete, se posant à Quelimane à 15h00 sur un marais du Zambèze, heureusement asséché, avant de rejoindre le terrain officiel (1450 km). Le 27, parti à 7h40, il traverse le canal du Mozambique et atteint Majunga à 11h00, ravitaille (en essence pour automobile) et se pose sur le terrain d'Ivato à Tananarive (1600 km).

  


            Goulette, Marchesseau et Bourgeois ont établi le record pour cette liaison de 12400 km réalisée en 10 jours 8h et 40 mn, soit 248h40.


            Accueillis par une foule enthousiaste, ils comptent reprendre assez rapidement leur route vers La Réunion et l'Ile Maurice. Malheureusement, Marcel Goulette, atteint depuis Élisabethville d'une pneumonie compliquée d'un violent accès de paludisme, est hospitalisé jusqu'au 8 novembre, et ne se relève que le 16.


            Entretemps, le 5 novembre, Bailly, Reginensi et Marsot se sont posés à Tananarive, battant le record qu'il venait d'obtenir; le 12 novembre, ils sont repartis pour Paris qu'ils atteindront en 8 jours. Goulette a, pour sa part, prévu de rester un mois à Madagascar pour tenter la première liaison entre la Grande Ile et La Réunion.


            Le 16 novembre, Goulette est rétabli et le Farman entame un grand circuit autour de l'île. Il se pose le soir du 16 à Maevatanana, rejoint Majunga le 17 et rentre à Tananarive le 18.


            Le 22 novembre, l'équipage au complet fait la reconnaissance de Tamatave, à 240 km de Tananarive sur la côte est de l'île, pour repérer un terrain favorable à l'envol, qui sera en l'occurrence un ancien marais desséché. Pour ce vol au-dessus de l'Océan, Maurice Goulette veut porter le rayon d'action du Farman à 1700 km, de façon à pouvoir faire demi-tour si l'atterrissage s'avérait impossible. Pour ce faire, entre le 18 et le 24 novembre, un réservoir supplémentaire de 200 litres est réalisé sur place avec l'aide du service des Travaux Publics de Tananarive et monté dans la cabine.


            Le 24 novembre, le Farman rejoint Tamatave; à l'atterrissage, une poche de sable provoque un cheval de bois et la mise en pylône de l'avion, sans grand dommage hormis l'hélice tordue. Au mépris des consignes du constructeur, elle est redressée à froid par Bourgeois. Un vol d'essai permet à Marchesseau de valider la réparation.

Lors de son passage à La Réunion, le flanc gauche du F-AJJB est agrémenté d'une insciption résumant le raid. [© Michel Barrière]


            Le 26 novembre, après avoir enlevé l'avion en 250 m, l'équipage parcourt pour la première fois, en 5h30 de vol au dessus de l'Océan Indien, les 800 km qui séparent Madagascar de La Réunion; il est aidé par l'"Explorateur Grandidier", un paquebot des Messageries Maritimes qui s'est positionné sur sa route pour lui permettre de corriger sa dérive. La précaution sera utile : à 8h25, Goulette est sur le point d'ordonner le retour vers Tamatave lorsque Marchesseau aperçoit le vapeur.


            À 80 km de l'île, Goulette aperçoit la cime du Piton des Neiges émergeant des nuages. Après avoir tenté de jeter une couronne de fleurs sur la statue de Roland-Garros qu'ils ne trouvent pas, l'équipage atterrit à 11h20 à La Réunion, au lieu-dit "Gillot", près de la Rivière des Pluies.


            Le 28 novembre, Marchesseau promène le gouverneur de l'île, M. Fabre, et Mgr de Beaumont. Le 2 décembre, le F-AJJB décolle du champ d'aviation de Sainte Marie à 8h15. Il se pose à Ivato, moteur bloqué avec une pression d'huile à zéro.


            Le 8 décembre à 1h00 du matin, le F.192 "Paris-Madagascar-Ile Bourbon", équipé d'un nouveau moteur, prend le chemin du retour vers la métropole. Alors qu'il vient de passer à la verticale de l'îlot de Juan de Nova, un incident survient. Il est généralement question d'une fuite d'essence, quelquefois de la casse de la pale d'hélice redressée à froid avant le départ pour La Réunion. L'avion orbite pendant une heure dans la nuit au dessus de l'île avant que le petit jour permette à Marchesseau de se poser sur un terrain dégagé, mais couvert d'arbustes qui déchirent l'entoilage de l'empennage.

            Tandis que Goulette et Marchesseau rejoignent Madagascar par le paquebot "Maréchal Gallieni" des Messageries Maritimes, venu à leur secours, Bourgeois reste sur l'île afin de construire un abri pour l'avion. Le courrier (523 lettres), également transbordé sur le Gallieni, rejoindra la France avec le paquebot le 10 janvier.


            Le 28 janvier 1930, Marchesseau et Goulette sont de retour avec des pièces de rechange. Le 1er février, ils redécollent en direction d'Ivato. Après une rapide révision, le F-AJJB repart le 6 à 1h00 du matin pour Quelimane, traversant cette fois sans encombre le canal de Mozambique, puis arrive à Élisabethville sur un terrain détrempé par une tornade. Le lendemain, la tentative de décollage se termine en pylône, hélice tordue et aile gauche endommagée. Après réparation de l'aile par les mécaniciens de la SABENA, un vol d'essai montre la nécessité de changer d'hélice. Il leur faut attendre plus d'un mois avant l'arrivée de l'hélice de rechange.


            Le Farman ne repart d'Élisabethville que le 19 mars à 4h30, faisant escale à Luluabourg avant d'atteindre Brazzaville. Le 22, il repart pour Bangui et Fort Archambault. Le 23, il rejoint Kano puis Niamey le 23, constatant à l'arrivée une rupture du vilebrequin. Le 21 avril, après un nouveau mois d'immobilisation, le moteur est réparé et vérifié en vol. Le Farman repart enfin le 22 avril à 5h30. Après une escale à Gao à 10h15, il survole Tabankort puis se dirige vers El Quit où Goulette a prévu un ravitaillement de 220 litres d'essence cachés dans le sable. Mais, 30 km avant leur destination, le moteur s'arrête brutalement. Marchesseau tente un atterrissage d'urgence, mais une jambe de train se brise sur le mauvais terrain, et l'avion termine là sa carrière, flanc de la cabine arraché et aile gauche brisée.


            Recherché par les avions du Cdt Vuillemin et les voitures et avion de la Compagnie Générale Transafricaine, l'équipage est secouru le 28 avril par le groupe nomade du Timetrin qui les rapatrie en automitrailleuse sur Gao. Le 30, les équipages de Bailly et Poulin venus participer aux recherches, rapatrient les aviateurs via Lisbonne où ils déposent le courrier embarqué au Mozambique. Ils arrivent enfin au Bourget le 5 mai après avoir fait escale à Rochefort-sur-Mer vers midi.


            Évidemment, Goulette déclarera forfait pour le rallye de Clermont-Ferrand auquel il s'était déjà inscrit sous le n°36 avec son "F.191 à moteur Salmson 230 cv".

Les Avions Farman

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F.197 n°1 F-AJJK