Crezan
F190
Crezan
F190

F.190 n°37 / (7161)

  


            Comme les n/s 35 et 36, le F.190 n°37 n'est pas identifié comme un F.190 standard. SElon toute probabilité, il a dû servir de base à la production d'une version dérivée. Le seul autre appareil apparenté ayant été mis comme ses prédécesseurs en production à l'automne 1929 serait le F.192 n°4 utilisé par Lena Bernstein pour son record de durée du 1° mai 1930. Dans cecontexte, Son numéro constructeur pourrait être 7161.


            Cet appareil apparait dans le registre F comme ayant été initialement enregistré au nom de Mademoiselle Claire Camus, actrice sans rapport connu avec l'aviation, ce qui depuis longtemps nous intrigue. Un article du journal L'Auto nous a finalement donné l'explication de cette mention.

            En mars 1929, le Potez VIIIA n°5 F-AFGF, produit en août 1923, avait déjà une longue carrière derrière lui. René Couzinet l'avait acquis en 1928 et le revend en ce début 1929. Il est alors enregistré sous l'immatriculation F-AJGF au nom de  Mademoiselle Claire Camus, attribution qui incita les journalistes de L'Auto à interviewer l'intéressée.


L'aventure d'une propriétaire d'avion qui n'a jamais volé à bord de son appareil


     "Il existe un registre où figurent les noms de tous les propriétaires d'avions, ces propriétaires sont évidemment tous plus ou moins connus.

     En parcourant cette liste, un nom nous arrêta un moment, celui de Mlle Claire Camus, qui a un avion immatriculé sur la feuille du mois de mars. Or, Mlle Claire Camus est complètement inconnue dans les milieux aéronautiques. Que pouvait elle bien faire de cet avion ? Allions nous trouver une jeune exaltée de l'aviation de tourisme qui n'aime pas faire parler d'elle ?


     Nous sommes allés voir Mlle Claire Camus, qui habite un quartier sportif, puisque sa maison est en face du Vélodrome d'Hiver, et nous lui avons demandé des nouvelles de son avion, les raisons de son achat et ce qu'elle en faisait.

     Mlle Camus nous reçoit avec un rat noir et blanc dans ses bras, elle nous fait entrer dans un studio où, sur un divan, s'ébattent des souris blanches.

     Nous nous asseyons à côté de ses petites bêtes, qui n'ont ma foi pas l'air de se soucier de notre arrivée dans leur domaine, et nous écoutons les réponses de Mlle Camus :

     "Mon avion est brisé"

     Nous nous apitoyons aussitôt sur cet accident, en demandant les causes, nous inquiétant du sort des passagers, et nous félicitons la propriétaire de s'en être tirée indemne.

     Mais Mlle Camus nous apprenait qu'elle n'était jamais montée à bord de son appareil.

     Elle prêtait son avion à l'une de ses amies, aviatrice connue, Mlle Lily Bernstein.

     Mlle Bernstein, après avoir participé à quelques meetings avec l'avion de Mlle Camus, eut un accident dû à une fuite d'essence, et l'appareil s'écrasa sur le sol, près de Brive.

     D'ailleurs, ajoute Mlle Camus, je n'ai pas mon brevet de pilote, et l'aviation de tourisme ne m'a jamais emballée."

L'Auto, 24 août 1929


Ce que ne dit pas L'Auto ...          


            En avril 1929, Lena Bernstein entreprend de réaliser avec le Potez VIII de Claire Camus un voyage par petites étapes Paris - Casablanca pour participer à un meeting. Le 28 avril, après avoir fait le plein à Saint-Churier, près de Brive, elle accroche au décollage des fils télégraphiques et l'avion s'abat sur la voie ferrée Paris-Brive. L'aviatrice est indemne, mais l'appareil, irréparable, est enregistré comme détruit en juin 1929.

F.192 n°4 / (7161)

F-AJLU

Le F.192 n°4 F-AJLU du record de durée de Lena Bernstein.

[© Michel Barrière]

Le F.192 n°4 remis au standard pour les meetings de l'été 1930,

sauf porte arrière toujours absente. [© Michel Barrière]


            A l'automne 1930, après que Lena Bernstein ait emporté la record du monde de distance en ligne droite pour avion léger, Claire Camus passe commande d'un F.192 pour Lena Bernstein. L'appareil, qui peut donc avoir été produit sur la base de la cellule F.190 n°37, est équipé par Farman env vue du record de durée féminin, alors détenu par Maryse Bastié avec 27 heures de vol. 


            Pour un poids total de 2600 kg, le F-AJLU peut emporter 2100 litres d'essence et 130 litres d'huile. Les réservoirs d'ailes contiennent 560 litres, mais 3 grands réservoirs d'essence contenant au total 1396 litres sont installés dans la partie arrière de la cabine dont les 3 derniers hublots ont été obturés.

            Ainsi équipé, il ne répond pas aux spécifications du type, et ne peut voler qu'à Toussus. Conformément à la nomenclature publiée à cette époque, plusieurs documents le donnent alors comme un "F.191".


            L'avion est essayé par Coupet le 21 février 1930. Lena Bernstein fait son premier vol sur le Farman le 6 mars en compagnie de Lallouette afin de reconnaître le circuit du record. Le premier essai de décollage en charge le 16 se termine par le bris de la béquille suite à une saute de vent au décollage pour laquelle l'avion frôle la perte de vitesse. Le 22, c'est un robinet de carburant, que Lena Bernstein ne peut ouvrir sans aide depuis sa place, qui se bloque après 9 heures de vol. Le 23, Lena Bernstein recommence, mais doit revenir se poser le 24 au matin, la consommation d'huile s'étant révélée trop élevée. Le 28 mars, Lena Bernstein fait remplacer à Toussus ses deux réservoirs d'huile par un seul de plus grande capacité. Elle recommence ses tentatives le 5 avril pour se poser de nouveau le 6 à l'aube après 20 h de vol.


            Le 1° mai 1930, Lena Bernstein repart pour sa cinquième tentative, difficilement cette fois, effectuant 4 chevaux de bois avant de réussir son décollage. Malgré ce départ difficile, cet essai est le bon et Lena Bernstein remporte le record féminin de durée, en se posant le 2 mai après 35h 46 mn 55 s de vol au-dessus du Bourget. Elle bat également à cette occasion le record détenu par Lindbergh de pilote seul à bord.


            Le F-AJLU est alors remis au standard du type, les réservoirs de cabine sont démontés et les hublots de cabine restaurés. Par contre, la porte arrière n'est pas réinstallée, la structure ayant peut-être été modifiée pour l'installation des réservoirs. Dès le 11 mai, Lena Bernstein fait un rapide voyage à Croydon avec le F-AJLU, revenant à Paris le 12.

            Elle participe ensuite à la fête aérienne d'Orly de l'Union des Pilotes Civils le 19 mai 1930.

            Ce n'est que le 5 juin que le Farman est enfin enregistré avec les CdN / CdI 2410 au nom de Claire Camus.


            Lena est inscrite au rallye aérien international de Clermont-Ferrand le 6 juillet sous le n° 14 avec son "F.191 argent à moteur Salmson 230 cv"; elle se classera 7° de ce rallye remporté par le F.190 de Bailly piloté par Reginensi, suivi par celui d'Avignon.

  

Lena Bernstein et son mécanicien Guitton en octobre 1930

avant leur départ pour Tokyo

[© Archives Galeries Lafayette]

Lena Bernstein devant le Farman "Galeries Lafayette"

(© Archives Galeries Lafayette)

Le F.192 n°4 F-AJLU "Galeries Lafayette" du raid Paris-Tokyo

[© Michel Barrière]


            En 1937, la CAF malgré ses difficultés financière rachète à l'État trois appareils des stocks de l'aéronautique nationale, en fait d'anciens F.290 du STAé de numéros constructeur 7246 à 7248, appareils produits dans les premiers mois de 1931. Tous trois sont achetés par l'État et versés dans les stocks de l'Aéronautique Nationale.


            L'ancien F.192 n°4 est le dernier d'entre eux, reconstruit sous le contrôle de Veritas dans les ateliers de la CAF du 4 février au 10 octobre 1939, alors que la CAF est en liquidation.

            Aménagé pour 5 passagers, il est doté d'un poste de pilotage rehaussé et à verrière en coupe-vent, d'un type apparu en 1931 sur le F.192 n°19. Sous le numéro AIR 2-010884, ayant semble-t-il retrouvé son numéro de série 4, il reçoit l'immatriculation F-AQCP.

            A la liquidation de la C.A.F., il est conservé par M. Heinrich. Nous n'avons pas d'information sur la livrée portée par les appareils de la CAF à cette époque, mais il semble, d'après une photographie du F-AQCN, qu'il puisse s'agir de la livrée rouge carmin et argent qui sera celle toujours portée par le F-BAOP après la guerre .


            Dans des conditions que nous ne connaissons pas, le F-AQCP survit à la guerre.

            Début septembre, Lena s'entraine sur un Guerchais tandis que Farman prépare le F.190 qui en octobre sera transféré à son nom. Les grands réservoirs de cabine ont été réinstallés, au moins du côté gauche. Lena a reçu les autorisations de survol nécessaires depuis mars et son départ est alors prévu pour début octobre. Une rencontre imprévue au roulage avec une borne d'essence nécessite cependant quelques réparations.


            Le départ est prévu du Bourget le 28 octobre, mais Lena se voit refuser le départ à pleine charge de ce terrain conformément aux mesures décidées suite à l'accident du F.194 n°1 et revient le jour même à Toussus.


            Ce n'est que le 8 novembre 1930 que Lena Bernstein et son mécanicien Guitton décollent à 6h00 pour Tokyo. Après avoir refait les pleins à Istres, elle rejoint  Rome le 9 à 08h00 où les opérations de douane lui font perdre du temps. Elle en repart à 23 h pour un vol de nuit par beau temps et atteint Athènes le 10 à 06h30. Au départ d'Athènes à 23h, les choses se gâtent et elle arrive le 11 à 7h00 à Alep sans éclairage de bord.

            Elle repart à 8h30 pour Bagdad, puis reprend son vol vers Bassorah mais le vent contraire et une tempête de sable lui font faire demi-tour pour se poser à Bagdad à la nuit tombante : la mauvaise visibilité trompe l'aviatrice qui fauche son train sur une butte de terre et l'appareil finit sa course en pylône.


            Le raid est terminé. L'équipage repart le 28 novembre de Beyrouth par Air Orient, arrivant le 30 à Marseille, puis le 1° décembre à Paris. Le F-AJLU sérieusement endommagé est donné comme détruit par la presse. Néanmoins, ramené par camion à Beyrouth, il est rapatrié par bateau en France.

F.290 n°(5) / 7248

(F-AKEV)


            Revenu à Billancourt en décembre 1930, le F.192 n°4 est reconstruit sous le numéro constructeur 7248. Il passe sous propriété de l'État français, devenant l'un des 5 F.290 acquis en 1930 et livrés au printemps 1931. Son tardif retour en France alors que la production des F.290 commandés est déjà engagée - 4 d'entre eux sont en montage à Toussus à la mi-janvier 1931 - et son numéro constructeur 7248 (la série se situe dans la séquence des n/c inconnus 7244 à 7249 nous amène à supposer qu'il en sera le dernier exemplaire.

F.192 n°4 / 7248

F-AQCP


            En 1937, la CAF malgré ses difficultés financière rachète à l'État trois appareils des stocks de l'aéronautique nationale, en fait d'anciens F.290 du STaé de numéros constructeur 7246 à 7248, appareils produits dans les premiers mois de 1931. Tous trois sont achetés par l'État et versés dans les stocks de l'Aéronautique Nationale.


            L'ancien F.192 n°4 est le dernier d'entre eux, reconstruit sous le contrôle de Veritas dans les ateliers de la CAF du 4 février au 10 octobre 1939, alors que la CAF est en liquidation.

            Aménagé pour 5 passagers, il est doté d'un poste de pilotage rehaussé et à verrière en coupe-vent, d'un type apparu en 1931 sur le F.192 n°19. Sous le numéro AIR 2-010884, ayant semble-t-il retrouvé son numéro de série 4, il reçoit l'immatriculation F-AQCP.

            A la liquidation de la C.A.F., il est conservé par M. Heinrich. Nous n'avons pas d'information sur la livrée portée par les appareils de la CAF à cette époque, mais il semble, d'après une photographie du F-AQCN, qu'il puisse s'agir de la livrée rouge carmin et argent qui sera celle toujours portée par le F-BAOP après la guerre .


            Dans des conditions que nous ne connaissons pas, le F-AQCP survit à la guerre.

F.192 n°4 / 7248

F-BAOP


            En 1945, le F.192 n°4 est toujours propriété de Jean Heinrich, PDG de la Compagnie Aérienne Française.


            En 1950, Heinrich le cède pour 700.000 F à R. Fiel (Meulan). L'avion, maintenant immatriculé F-BAOP, est alors basé à Mantes.


            Le 7 juin 1951, il est de nouveau vendu, pour 1.750.000 F cette fois et enregistré au Service de l'Aviation Légère et Sportive (S.A.L.S.). Il y sert successivement dans divers clubs.

            Prêté d'abord au Club Henri Guillaumet de La Courneuve, il est basé à Creil et modifié pour servir au largage de parachutistes (porte arrière agrandie, hublot supprimé). C'est sans doute à cette même époque qu'un réglage du plan fixe par une commande placée sur le plafond de la cabine et un système de câbles passant sur la toiture est également ajouté.

            Le F-BAOP peint en rouge sera ensuite prêté successivement au Centre Inter Clubs de parachutisme d'Ile de France, basé à Gizy-les-Nobles; en 1955, au Centre de Parachutisme de Bourgogne-Franche-Comté, basé à Chalon-sur-Saône/Champforgeuil; enfin en 1957 au Centre Régional de Parachutisme de Lille-Bondues.

Le F.192 n°4 F-BAOP en 1952 et 1957. La porte arrière a été agrandie pour faciliter les sauts en parachute et le mât arrière échancré en conséquence. [© Michel Barrière]


¤ Au Musée de l'Air et de l'Espace


            Le 4 avril 1960, le S.A.L.S. en fait don au Musée de l'Air. L'appareil est alors partiellement restauré et décoré dans une livrée sensée représenter le F.192 n° 3 immatriculé F-AJJB de Marcel Goulette. Plusieurs de ses caractéristiques, comme le poste de pilotage, la configuration des réservoirs, les portes d'accès modifiées pour le parachutisme, etc. restent cependant éloignées de celles de l'appareil original.


            Le F.192 n°4 F-BAOP est réformé le 17 septembre 1971.

            Il est plus tard démonté et stocké, puis après quelques années passées dans les réserves restauré et réexposé sous la livrée du F-AJJB de Goulette. Il est de nouveau stocké après plusieurs années d'exposition.

             Il est de nouveau remonté en septembre 2009 lorsque le compagnie Air Austral, sur la base de sa décoration l'expose dans la cadre de la commémoration des 80 ans de la ligne Paris – La Réunion.

Le F.192 n°4 exposé au Musée de l'Air et de l'Espace en 2010 [© Michel Barrière]

Les Avions Farman

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F.19O n°38 F-AJLL